Azote

Les nitrates dans les sols belges : Et si les plantes avaient un rôle plus grand à jouer ?



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Récemment, la Commission Européenne a remis la Belgique face à la problématique de la pollution de ses eaux par les nitrates. Parmi les solutions déjà envisagées, Pr. Cécile Thonar et Pr. Hervé Vanderschuren (Université Libre de Bruxelles et Gembloux Agro-Bio Tech – ULiège) apportent une nouvelle piste : l’utilisation de plantes «BNI» avec un potentiel d’inhibition de la nitrification (BNI pour Biological Nitrification Inhibition).

Le problème est connu depuis longtemps : l’utilisation non raisonnée d’engrais dans l’agriculture pour enrichir le sol en azote provoque une surabondance de nitrate (NO3-) que la plante ne parvient pas à absorber dans sa totalité.

Cet excédent est ensuite emporté par les eaux de pluie ou d’arrosage vers les nappes phréatiques et les cours d’eau, c’est ce qu’on appelle le « lessivage ». Ce phénomène a des retombées directes sur la biodiversité en favorisant la prolifération d’algues dans les cours d’eau et sur l’eau potable qui nécessite un traitement onéreux lorsque son taux de nitrate est trop élevé.

Parmi toutes les approches envisagées, les Pr. Cécile Thonar et Hervé Vanderschuren se concentrent sur un nouvel angle pour faire face au problème : la plante en elle-même.


« Il y a effectivement différentes expertises complémentaires sur le campus de Gembloux Agro-Bio Tech qui permettent d’avoir une approche intégrée au niveau du sol. Jusqu’à présent nous n’avions pas vraiment regardé la possibilité de renforcer l’aspect «plantes» dans leurs contributions à l’équation complexe de la pollution par les nitrates en se focalisant sur leur capacité à influencer les activités microbiologiques du sol. Est-il par exemple possible de sélectionner et utiliser dans la rotation des plantes qui permettent de mieux réguler la nitrification suite à l’application d’engrais sur les parcelles agricoles? » Pr. Hervé Vanderschuren

En effet, pour pousser, une plante a besoin d’azote qu’elle capte dans le sol sous forme d’ammonium (NH4+) ou de nitrate (NO3-) (avec souvent une préférence pour la forme NO3-). La conversion de l’ammonium en nitrate, aussi appelée nitrification, est réalisée par des microorganismes du sol.
Certaines plantes parviennent à contrôler ce processus de nitrification en libérant des composés organiques qu’elles secrètent dans le sol depuis leurs racines. Ces composés sont appelés BNI (Biological Nitrification Inhibitors).

 

Vue schématique des processus de nitrification et dénitrification dans le sol

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À travers « Catch-BNI », un projet Européen coordonné par le laboratoire Plant Genetics and Rhizosphere Processes et rassemblant plusieurs institutions de recherche (l’ULB en Belgique, IPK en Allemagne, John Innes Centre au Royaume-Uni, l’Université du Pays Basque en Espagne et TERRA à Gembloux Agro-Bio Tech), les Pr. Cécile Thonar et Hervé Vanderschuren étudient et sélectionnent les plantes qui présentent les meilleurs résultats en terme de BNI.  Pour ce faire, ils comparent les propriétés de différentes espèces et de différentes variétés d’une même espèce (moutarde, phacélie, sorgho, avoine, plantain, blé…) en utilisant divers outils pour quantifier leur capacité à inhiber la nitrification et ainsi mieux contrôler l’apparition de nitrate dans le sol.

Ces plantes pourraient ainsi limiter ou ralentir la nitrification de façon naturelle afin de réduire les pertes de nitrates par lessivage ainsi que l’émission de gaz à effet de serre tels que le protoxyde d’azote (N2O) qui est également généré lors de processus de nitrification-dénitrification. Cette approche pourrait également séduire les agriculteurs par la possibilité de réduire les doses d’engrais à appliquer sur leurs champs.

« Avec l’augmentation des prix des engrais et les problèmes environnementaux  récurrents posés par la pollution des nitrates, il existe un réel potentiel pour développer des approches alternatives afin de réduire les pertes en nitrate et ainsi augmenter l’efficacité d’utilisation des engrais par les cultures » Pr. Cécile Thonar

Afin d’évaluer le potentiel BNI des plantes cultivées ainsi que celles utilisées en interculture, le laboratoire Plant Genetics and Rhizosphere Processes a mis au point une plateforme de criblage en hydroponie afin d’isoler et tester les composés BNI produits et exsudés par les racines. Cette plateforme a notamment été utilisée pour identifier et caractériser des variétés de blé «BNI» dans le cadre du projet GAIN financé par la Région Wallonne. Ce travail mené par les chercheurs du laboratoire a mis en évidence des activités BNI chez le blé et fait l’objet d’une publication dans la prestigieuse revue New Phytologist (Jauregui et al., 2023).

La plate-forme hydroponique et d’autres outils sont également utilisés pour étendre et affiner les analyses à des plantes d’intercultures, c’est-à-dire des végétaux plantés entre deux cultures principales, afin d’offrir de nouvelles perspectives pour un meilleur contrôle du cycle de l’azote dans le sol aux périodes de l’année propices aux problèmes de lessivage des nitrates.

 

Pour en savoir plus :

https://www.suscrop.eu/projects-second-call/catch-bni

https://www.catch-bni.uliege.be/

Iván Jáuregui, Izargi Vega-Mas, Pierre Delaplace, Hervé Vanderschuren, Cécile Thonar. An optimized hydroponic pipeline for large-scale identification of wheat genotypes with resilient biological nitrification inhibition activity. (2023) New Phytologist, https://doi.org/10.1111/nph.18807

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