Expatrié au Cambodge depuis plusieurs années, Stéphane De Greef a réalisé ses études de bioingénieur à Gembloux Agro-Bio Tech. Il y a quelques années, en collaboration avec plusieurs universités et organisations internationales, grâce à la technologie LiDAR, il a mis à jour une cité perdue au milieu de la forêt tropicale cambodgienne. Rencontre avec cet explorateur hors du commun.

Stéphane De Greef

De la Belgique au Cambodge, quel a été votre parcours professionnel ?

J'ai été diplômé du master Eaux et Forêts de Gembloux Agro-Bio Tech en 2000. Lors de ma dernière année, j'ai réalisé un TFE sur la biodiversité des forêts gabonaises. C'est ce travail qui a initié mon envie de démarrer une carrière internationale.

Juste après la fin de mes études, j'ai été contacté par une PME belge travaillant sur des projets de cartographie : I-Mage Consult. Ils m'ont proposé un premier emploi en tant que conseiller technique sur le recensement de la population en Haïti.

Suite à cette première expérience, j'ai organisé des formations en Afrique de l'Ouest sur la géomatique (analyse de données géographiques) pour la même PME avant de démarrer une carrière dans l'humanitaire avec Handicap International. Mon expertise en Système d'Information Géographique (SIG) et gestion de l'information répondait à leurs besoins et, en 2002, j'ai été envoyé au Cambodge pour développer des normes de priorité pour le déminage et améliorer l'allocation de terrains déminés aux populations. C'était ma première mission en Asie et le début d'un séjour de huit ans au Cambodge.

L'environnement, l'archéologie, l'entomologie, la cartographie, la photographie,... comment conciliez-vous toutes vos passions ?

J'ai toujours été attiré par la cartographie, sans doute pour compenser un terrible sens de l'orientation ! Les images aériennes, Google Earth et les cartes de manière générale m'ont toujours fasciné.

De la même manière, l'environnement, l'entomologie, la photographie et l'archéologie sont des passions d'enfance qui ont perduré jusqu'à maintenant.

Il est difficile de trouver un fil conducteur unique dans ma carrière mais j'ai toujours tenté de l'orienter en fonction des sujets qui m'intéressent. Il y a, derrière la plupart de mes projets professionnels, un lien avec la cartographie et/ou la gestion de l'information.

Qu'est-ce que le LiDAR ?

Le LiDAR est une technologie de télédétection, une sorte de radar qui envoie un laser vers la zone d'étude et recapture le signal reflété. Dans notre cas, il est monté sur un hélicoptère pour survoler et scanner la forêt.

Le signal reflété par la végétation et le sol sous-jacent est recapturé au niveau de l'émetteur et analysé. En résulte un modèle en trois dimensions du sol et de la végétation, composé de millions de points d'altitude. Ces données peuvent être analysées pour évaluer la composition de la forêt ou la biomasse mais je m'intéresse principalement aux signaux renvoyés par le sol.

Le LiDAR permet de mettre en évidence de très discrètes 'anomalies topographiques' occultées par la végétation tropicale très dense. En 'scannant sous la forêt', par hélicoptère, on peut mettre en évidence des canaux, des digues, des murets, des étangs, des bâtiments en grès ou en briques complètement ensevelis. Ces vestiges sont impossible à distinguer sur des images aériennes classiques, ne montrant que la forêt, et très difficiles à identifier au niveau du sol car, généralement, la forêt dense limite la visibilité à une dizaine de mètres tout au plus.

Pensiez-vous, au début de vos recherches, qu'une telle découverte était possible ?

Les premières explorations archéologiques remontent à la fin du 19ème siècle et ont continué sporadiquement dans les années 1930 et 1960. L'existence d'une « capitale » sur le plateau de Phnom Kulen, à 40 kilomètres d'Angkor Vat, au nord-ouest du Cambodge, était suspectée depuis des dizaines d'années par les archéologues. Des inscriptions anciennes datant du 11ème siècle et la présence d'une trentaine de temples anciens et d'autres vestiges avaient éveillé leurs soupçons. Cependant, aucune preuve tangible n'avait jusqu'à présent permis de confirmer cette hypothèse.

Le plateau a toujours été considéré comme un lieu sacré pour les cambodgiens mais la présence d'une ville sous la jungle tenait plus de la légende. Nos découvertes de cette année confirment toutefois que la légende reposait sur une réalité : au sommet du plateau de Phnom Kulen, une capitale royale s'étendait sur des dizaines de kilomètres carrés.

Quelle est l'ampleur de cette découverte ?

Si l'on considère l'ensemble des découvertes faite grâce au LiDAR sur Phnom Kulen, Koh Ker et autour d'Angkor, il s'agit sans doute de la plus grande découverte archéologique au Cambodge depuis plus d'un siècle. L'application du LiDAR en archéologie est aussi révolutionnaire que la découverte des rayons X pour la médecine. Cette technologie nous ouvre les yeux sur un monde jusqu'alors invisible, totalement inconnu, et nous obligera à réécrire des chapitres entiers de l'histoire de l'Empire Khmer.

A Phnom Kulen, la découverte est gigantesque non seulement en terme de taille mais aussi d'implications historiques, car il s'agit d'une capitale royale s'étendant sur une zone de huit kilomètres sur quatre. Si l'on comparait cela à la Belgique, on pourrait dire que depuis des siècles nous avions sous nos pieds une ville de la taille de Bruxelles, dont ne nous connaissions qu'une trentaine de 'chapelles' isolées, disséminées à travers la campagne et les forêts. Le LiDAR nous a permis de localiser une trentaine de temples de plus, mais surtout de réaliser que ces édifices religieux étaient construits le long d'un gigantesque réseau de routes, de canaux, de barrages, et entourés par des centaines, voire des milliers, d'habitations qui s'étendaient à perte de vue. Depuis un siècle, cette ville était sous nos pieds, sous nos yeux, et nous n'en connaissions que quelques vestiges isolés.

A quel niveau êtes-vous intervenu dans ces découvertes ?

Ce projet LiDAR n'a pu être mis en place que grâce à la collaboration de huit instituts de recherche car les coûts associés sont très élevés, de l'ordre de 1000 USD par kilomètre carré. La zone sur laquelle j'ai travaillé ne représente que 15% de la zone couverte par le LiDAR et de nombreuses autres équipes ont pu réaliser des découvertes très importantes autour d'Angkor et de Koh Ker, deux autres anciennes capitales.

En regroupant huit organisations dans un consortium appelé KALC , nous avons réussi à obtenir les autorisations et à rassembler la somme nécessaire pour louer et importer le matériel, louer un hélicoptère et traiter les données. Le survol a été réalisé pendant deux semaines et les données laser brutes ont été traitées durant trois mois par une compagnie canadienne spécialiste du LiDAR (PT Mc Elhanney).

C'est donc un travail d'équipe, regroupant plus d'une centaine de personnes, qui a permis l'acquisition, l'analyse et l'interprétation des données LiDAR. Les principaux acteurs sont, en plus du gouvernement cambodgien, l'Université de Sydney, l'Ecole Française d'Extrême-Orient (EFEO), la Société Concessionaire de l'Aéroport, la Hungarian Indochina Corporation, le projet Japan-APSARA for Safeguarding Angkor, l'Archaeology and Development Foundation et le World Monuments Fund.

J'ai été impliqué directement dans cette découverte car la plupart des archéologues travaillant sur la zone n'ont pas les compétences nécessaires en géomatique pour analyser les données LiDAR et gérer un SIG. J'interviens en support technique pour réaliser la cartographie des sites, au même titre que des topographes, des spécialistes du Carbone 14, des spécialistes de la datation des céramiques ou de l'analyse des pollens. C'est une recherche pluridisciplinaire où chacun apporte une compétence pour un but commun.

Comment imaginez-vous l'évolution de vos recherches au Cambodge ?

Maintenant que la présence de la capitale royale est confirmée, il est important de protéger ces sites des pilleurs, du tourisme sauvage et de continuer les recherches sur les zones les plus intéressantes.

Il serait intéressant maintenant déterrer des inscriptions permettant de dater la ville plus précisément, de comprendre pourquoi et comment elle a été construite et d'identifier pourquoi et quand elle a été abandonnée. Cela nous permettrait également de découvrir comment les populations y vivaient, cultivaient et plus généralement comment fonctionnait cette société non plus agraire mais urbaine.

Il est possible que cette cité ait été abandonnée suite à une déforestation massive du plateau, forçant la population à migrer vers un site plus propice pour l'agriculture, en bas du plateau, dans la région entourant le temple d'Angkor Wat.

Cette découverte n'apporte pas une réponse mais va nous pousser à nous poser des centaines de nouvelles questions et il nous faudra des années, des décennies, pour y répondre.

Quel impact cette découverte aura-t-elle sur les habitants du plateau du Phnom Kulen ?

Les populations locales seront très impliquées. Plus de 4000 cambodgiens vivent sur le plateau et auront donc un rôle capital à jouer.

Des anthropologues devront tenter de faire le lien entre leur vie actuelle, leurs coutumes et croyances et l'existence de la ville. Ils auront également besoin d'eux pour localiser les sites et les déblayer.

Beaucoup de villageois deviendront des gardiens de la cité de leurs ancêtres et seront responsables de la maintenance et protection de ces sites.

C'est une découverte incroyable, la fin d'une légende historique mais pour beaucoup d'entre nous c'est juste le début d'une nouvelle aventure.

Photo © Stéphane De Greef

Ingénieur agronome Eaux et Forêts – Promotion 2000

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