Une publication dans Nature

Les forêts tropicales, futures sources de carbone ?



Une étude* récente menée par le Musée royal d’Afrique Centrale et l’Université de Leeds, à laquelle ont participé des chercheurs de Forest is Life  (TERRA / Gembloux Agro-Bio Tech), démontre que la capacité de certaines forêts tropicales à capturer le CO2 de l’atmosphère diminue fortement. Alors qu’elles étaient considérées jusqu’ici comme des puits importants de carbone, les forêts amazoniennes risquent demain d’en devenir une source. En cause, le ralentissement de la croissance et la mortalité plus importante des arbres, dus aux changements climatiques. Ces résultats viennent d’être publiés dans la revue Nature (1).

L

es forêts tropicales humides intactes sont connues pour être des puits de carbone, c’est-à-dire qu’elles freinent le réchauffement climatique en capturant du CO2 de l’atmosphère et en le stockant dans ses arbres.  

Dans les années 1990, les forêts intactes ont éliminé 17 % des émissions anthropiques de CO2. Ce chiffre est tombé à environ 6 % dans les années 2010. Bien que ces forêts restent des réservoirs importants de carbone, leur capacité à séquestrer du carbone supplémentaire dans les arbres diminue. C’est en tout cas ce que démontre une étude menée par le Musée royal d’Afrique Centrale et l’Université de Leeds et qui a rassemblé une équipe de chercheurs issus de plus de d’une centaine d’institutions de recherche, dont des chercheurs du TERRA Teaching and Research Center (Forest is Life / Gembloux Agro Bio Tech). Cette étude, qui s’est étalée sur 30 ans, a mesuré la croissance et la mortalité d’arbres répartis sur 565 forêts tropicales intactes en Afrique et en Amazonie.

« En 30 ans, la capacité de ces forêts à capturer du carbone a diminué de 33 % alors que nos émissions de carbone ont augmenté de 46 %, explique Jean-Louis Doucet, président de Forest is Life de l’ULiège. Par ailleurs, on a observé une diminution de 19% de la superficie des forêts intactes. ». Les modèles développés par les chercheurs, démontrent que les capacité d’absorption des forêts amazoniennes diminue beaucoup plus rapidement que celles des forêts africaines. Cette différence s’explique par la combinaison de deux facteurs : les forêts amazoniennes sont plus dynamiques que celles d’Afrique et, d’autre part, l’impact du changement climatique se fait davantage ressentir en Amazonie. Sous ces conditions, l’Amazonie pourrait déjà devenir une source de carbone dès la fin des années 2030.

Selon le chercheur de Gembloux : « garantir le maintien du couvert forestier grâce à un réseau d'aires protégées et de forêts gérées durablement doit devenir une priorité afin d'atténuer les effets des changements climatiques. Car, quel que soit le continent, des stocks impressionnants de carbone persistent dans les forêts, y compris dans celles qui sont exploitées pour la production de bois. La conversion des forêts en terres agricoles participe à environ 13 % des émissions mondiales de CO2 . Enfin, il faut planter des arbres hors forêt dès que c'est possible et sans nuire à la biodiversité. » Gembloux Agro-Bio Tech et ses partenaires, à travers le projet P3FAC, quantifient précisément l'évolution des stocks de carbone dans les forêts exploitées pour la production de bois d'œuvre. Le projet P3FAC  permettra de faire le bilan des émissions liées à l'exploitation et des fixations résultant de la croissance et de la régénération post-exploitation.

FIG1 Nature JLDoucet 

La séquestration du carbone ralentit beaucoup moins vite dans les forêts d’Afrique centrale, comparativement aux forêts amazoniennes.
(a) Tendances du carbone net de la biomasse, (b) gains de carbone pour le système provenant de la production de bois et (c) pertes de carbone du système provenant de la mortalité des arbres, mesurées dans 244 parcelles d'inventaire africaines (lignes bleues) et données contrastées d'inventaire amazoniennes publiées (lignes brunes ; 321 parcelles).
 

« La capacité des forêts à ralentir le changement climatique est un élément crucial dans notre compréhension du fonctionnement de notre planète, en particulier la quantité de carbone absorbé par la surface terrestre et celle relâchée dans l’atmosphère », explique le Dr Wannes Hubau, chercheur au Musée royal de l’Afrique centrale et premier auteur de l’article.  Le monitoring de forêts intactes est crucial si l’on veut pouvoir suivre les effets du changement climatique. Ce travail est plus que jamais nécessaire, car les forêts tropicales sont de plus en plus menacées. » La crainte majeure des scientifiques étant que l’on atteigne un point de basculement à partir duquel la nature deviendra un moteur de l’accélération du réchauffement climatique plutôt qu’un frein.


*Cette recherche a été financée par plus de 50 projets sur deux décennies, y compris un projet du Conseil européen de la recherche (Tropical forests and the changing Earth system, T-FORCES), à Oliver Phillips et Simon Lewis; et un projet Brain du Service public de programmation Politique scientifique (BELSPO) de la Belgique (BR/132/A1/AFRIFORD)

Référence scientifique

Hubau W. & al., Asynchronous Carbon Sink Saturation in African and Amazonian Tropical Forests , Nature, 5 mars 2020.

Contact

Jean-Louis Doucet

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