Huiles essentielles

De l'huile essentielle "par intraveineuse" dans les arbres, une piste vers les biopesticides de demain



Publié dans la revue « Frontiers in Plant Science » le 9 avril dernier, l’étude « Biopesticide Trunk Injection Into Apple Trees » explore l’usage d’huiles essentielles par injection pour de potentielles applications futures. L’expérience porte sur de jeunes pommiers et étudie la migration des huiles essentielles au travers de la sève et la réaction de l’arbre à l’injection.

Issue d’une collaboration entre le Laboratoire de Chimie des Molécules Naturelles de Gembloux Agro-Bio Tech et du Centre de Recherche sur la Biodiversité de l’UCL, l’étude a permis de constater le cheminement de ces huiles essentielles jusqu’aux feuilles de pommier via la sève de l’arbuste. Cette méthode innovante d’application d’un biopesticide pourrait permettre tout à la fois de lutter contre des pathogènes et des ravageurs de la plante de façon directe par l’activité biocide des huiles essentielles mais également de façon indirecte en stimulant les défenses de la plante.

Un premier pas vers les biopesticides de demain ? 

Pierre-Yves Werrie, chercheur de Gembloux Agro-Bio Tech et premier auteur de l’article, développe : « En Belgique, la production intensive de pommes requiert un emploi considérable de pesticides. De 30 à 40 applications en moyenne par an. Cela représente beaucoup d’intrants et certains d’entre eux sont critiqués pour leurs effets sur les écosystèmes, sur la santé humaine et les résidus dans les fruits ». En partant de ce constant, il était judicieux d’étudier des alternatives d’origine naturelle à la fois plus sûres pour l’environnement et le consommateur.  

 Les plantes produisent de nombreux métabolites secondaires qui ne sont pas impliqués directement dans la croissance et le développement des plantes mais qui leur permettent de s’adapter à leur environnement et de se défendre contre les pathogènes et les ravageurs. Parmi les métabolites secondaires de plante, les huiles essentielles, qui sont le résultat de la distillation de végétaux, sont des mélanges très concentrés qui présentent de nombreuses activités biocides telles qu’insecticide ou fongicide.

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Le cas des huiles essentielles 

Les huiles essentielles ont une composition très complexe, bien plus qu’un pesticide qui n’est souvent composé que d’une seule substance active. Pierre-Yves Werrie précise : « Ici, on peut avoir jusqu’à 100 à 200 substances différentes dans une seule huile essentielle. Ce mélange complexe  permet d’obtenir un produit ‘multi-cible’ qui sera moins sujet au développement de résistance comme on peut le voir avec certains pesticides conventionnels ». 

 En effet, les plantes ou les insectes finissent par s’adapter à ces pesticides et à détoxifier la molécule. « C’est ce qu’on a pu voir avec le glyphosate au fil du temps », détaille Marie-Laure Fauconnier, Professeur à Gembloux Agro-Bio Tech. « L’emploi des huiles essentielles permet de réintroduire des mélanges complexes, l’action de groupes de molécules, qui rendent les phénomènes d’adaptation et de résistance plus difficiles ». 

« Si un insecte ou une plante doit s’adapter pour détoxifier 100 à 150 substances différentes, on a le droit de penser que ce processus sera plus lent que dans le cas d’une seule substance. » On assiste par ailleurs à un effet cocktail, c’est-à-dire un mélange de molécules qui aura un effet biologique similaire pour un dosage inférieur à celui d’un composé isolé.

Moins de pulvérisation pour moins d’impact sur l’écosystème 

L’avantage de la méthode par injection est de réduire les quantités d’intrants par rapport à la pulvérisation de pesticides. Lors d’un traitement phytosanitaire classique par pulvérisation, une partie non négligeable de la matière active n’atteindra pas sa cible et se retrouvera dans le sol ou dans l’eau causant potentiellement des pollutions. L’injection nécessite des quantités beaucoup plus faibles et, comme Pierre-Yves Werrie le souligne : « cela ressemble plutôt à un traitement par intraveineuse, c’est beaucoup plus ciblé ». 

« Dans cette étude, il nous fallait démontrer que les substances de l’huile essentielle étaient acheminées par la sève vers les feuilles et que les feuilles émettaient bien ces composés dans l’air environnant plutôt que de rester localisées à la zone d’injection. Si les substances naturelles se déplacent jusqu’aux feuilles, elles pourront y exercer leur activité biocide contre les insectes ou les champignons phytopathogènes par exemple. Lors de cette étude, nous avons également pu mettre en évidence de façon tout à fait inattendue que, non seulement l’huile essentielle migrait jusqu’aux feuilles mais que son injection semblait stimuler les défenses naturelles de la plante. Un premier pas vers le développement des biopesticides de demain ? 

iconeInfoL'étude "Biopesticide Trunk Injection Into Apple Trees" est à lire dans la revue "Frontiers in Plant Science"

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