Une Faculté au coeur de l'histoire

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ondée au cours du Xe siècle par Saint Guibert, l’abbaye bénédictine de Gembloux abrite une école monastique, ainsi qu’une église abbatiale. L’emplacement est choisi non seulement en raison de sa position stratégique le long de la chaussée romaine, de sa proximité d’un cours d’eau mais également pour la fertilité des terres.

Au rythme des guerres et des incendies, l’abbaye originale subit de nombreuses modifications jusqu’à sa reconstruction complète entre 1762 et 1785. Le monastère est intégralement réédifié par l’architecte Laurent-Benoît Dewez qui conçoit les nouveaux bâtiments claustraux en style néo-classique. À peine quelques années plus tard, dans la foulée de la révolution française, les moines sont expulsés et l’abbaye est mise en vente.

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Ce patrimoine immobilier exceptionnel, entouré de dizaines d’hectares des meilleures terres du pays, est l’endroit rêvé pour fonder, en juillet 1860, l’Institut agricole. Il s’agit en réalité d’un transfert de l’école agricole de Thourout, en Flandre occidentale, créée onze ans plus tôt et fermée en 1859 pour non renouvellement de bail. Les bâtiments de l’ancienne abbaye et ses terres sont d’abord loués avant d’être achetés par l’État belge en 1881.

L’Institut agricole, dirigé par Phocas Lejeune, lauréat de la célèbre école d’agriculture de Grignon, ouvre officiellement ses cours le 8 janvier 1861.

Les terres précieuses

Le site de Gembloux, aux portes de la Hesbaye, est idéal. Les terres limoneuses sont parmi les plus fertiles du pays. La ligne de chemin de fer Namur-Bruxelles, toute récente, passe à proximité immédiate. La nouvelle implantation compte par ailleurs le haras de l’État, qui doit aider aux travaux pratiques de zootechnie. Surtout, le site – une ancienne abbaye bénédictine, vide mais flanquée d’une ferme en activité – accueillera aisément les étudiants. Cerise sur le gâteau: le propriétaire de l’époque promet de construire une deuxième ferme, de quoi assurer la formation pratique des futurs inscrits.

Le laboureur nu et… lecteur

Dès la création de l’Institut, la combinaison de la théorie et de la pratique constitue le point d’orgue de la formation. En témoigne, aujourd’hui encore, le monument « Lejeune-Fouquet » (du nom des deux premiers directeurs), représentant un agriculteur assis au repos sur son araire, concentré sur la lecture d’un ouvrage. Installé dans la cour d’honneur en 1910, le « Laboureur nu » trône aujourd’hui dans la cour des Noyers, à deux pas des bureaux accueillant les inscriptions.

Au départ, la formation dispensée à l’Institut dure trois années. Elle passera à quatre années à la fin du XIXe siècle, permettant aux « ingénieurs agricoles » d’alors de se spécialiser dans l’une des trois options disponibles : sciences agronomiques, sciences chimiques agricoles et sciences forestières. Il faudra attendre plus d’un siècle pour qu’une quatrième voie se profile : les « sciences et technologies de l’environnement » .

Fin du XIXème siècle, faute de formation et d’informations scientifiques à leur disposition, certains agriculteurs ont toujours recours à la prière pour conjurer le sort qui s’abat sur leurs champs. Petit à petit, les professeurs de Gembloux parviennent à changer les choses, par exemple en mettant en place un service de consultations, en publiant leurs observations, en envoyant leurs étudiants dans les fermes pour y effectuer des travaux et des stages sous la forme d’un « service à la ferme » ou de « plans de culture ». Les expériences menées à la ferme expérimentale nourrissent les conseils prodigués, ainsi que les matières enseignées.

Une dimension planétaire précoce

Dès ses premières années, l’Institut agricole connaît un important rayonnement international. La proportion d’étudiants étrangers grimpe à un tiers des inscrits. Les missions scientifiques menées à l’étranger n’y sont pas étrangères. Ainsi, le botaniste Émile Laurent effectue jusqu’en 1904 plusieurs missions scientifiques dans ce qui s’appelle l’ »État indépendant du Congo ». Tout en apportant leurs conseils aux cultivateurs belges, les chercheurs et enseignants de Gembloux s’intéressent aux régions tropicales. Au Pérou, ils ouvrent une école agricole et vétérinaire qui deviendra l’Université nationale agraire de La Molina. Pendant plusieurs générations, les diplômés de Gembloux occuperont l’essentiel des postes administratifs et techniques des colonies belges (Congo, Ruanda-Urundi). Cette présence se maintiendra pendant les années de la décolonisation. Elle alimentera, cette fois, l’inscription de nombreux étudiants venus du Maghreb, d’Afrique centrale et d’Afrique occidentale.

En 1920, l’Institut agricole change d’appellation, devenant l' »Institut agronomique de l’État ». C’est l’époque où se développent les stations: laitière, phytopathologie, zoologie appliquée, génie rural, amélioration des plantes, etc. Leur but: répondre aux problèmes concrets rencontrés par les éleveurs et les agriculteurs, jouant ainsi dès cette époque le rôle de service à la collectivité. Les stations fusionneront dans les années cinquante et formeront le Centre de recherches agronomiques (CRA), ancêtre du CRA-W actuel. A la même période, Émile Marchal (lire sa biographie sur www.reflexions.be), fils spirituel d’Émile Laurent, se démène pour pouvoir délivrer légalement aux étudiants-chercheurs le titre de « Docteur en agronomie » (l’Institut dépend en effet, à l’époque, du seul Ministère de l’Agriculture). En 1965, l’Institut devient la « Faculté des sciences agronomiques de l’État » puis, en 1994, la « Faculté universitaire des sciences agronomiques de Gembloux ».

En 2000, le titre de bioingénieur apparaît pour la première fois sur les diplômes délivrés par la faculté.

Isolée ou intégrée ?

A coté de la recherche de pointe et de l’enseignement, la vulgarisation des connaissances scientifiques s’impose, au fil des années, comme une des missions de l’Institut. A l’initiative du Professeur René Laloux, le premier « Livre blanc Céréales » est publié en 1967. Il est destiné à disséminer les résultats de la recherche directement parmi les cultivateurs de céréales. On a récemment fêté, à Gembloux, un demi-siècle de partage semestriel de résultats d’expérimentations entre chercheurs et praticiens: un anniversaire organisé de concert par Gembloux Agro-Bio Tech et le CRA-W, oubliant quelque peu les rivalités ayant émaillé occasionnellement la coexistence entre les deux institutions.

Dès les années septante, une question existentielle se pose. La Faculté doit-elle rester autonome ou être intégrée à une université? Un rapprochement avec l’Université de Liège est déjà évoqué. L’imminence de l’installation à deux pas d’une université nantie d’une Faculté d’agronomie – l’UCLouvain – ne fait qu’attiser l’inquiétude des plus pragmatiques. Ceux-ci sont inquiets devant la charge considérable que représente l’entretien des bâtiments. Certes prestigieux, ceux-ci n’en sont pas moins anciens, voire désuets. En 1986, la « Fac Agro » compte quelque 390 étudiants. Pour rassembler les étudiants de premières candidatures dans un seul lieu, elle est obligée de louer le Foyer communal à la Ville, l’auditoire de Biologie végétale ne suffisant plus. L’acquisition d’une grange, magnifiquement restaurée en auditoire de 600 places (l’Espace Senghor), viendra résoudre le problème en 1989. Les aménagements et investissements se poursuivront avec, parmi d’autres, l’actuelle concrétisation du projet TERRA.

Près de 50% d’étudiantes

En 2009, la Faculté universitaire intègre l’Université de Liège. Chacun y va de son terme: « intégration », « fusion », « absorption »… Il y allait sans doute de la survie de « Gembloux », dans un contexte de compétition croissante – européenne et internationale – entre les universités. L’ULiège y gagne son statut de « seule université publique complète en région francophone », comme le souligne le recteur de l’époque, Bernard Rentier.

Chaque année, la Faculté accueille près de 1.500 étudiant.es, toutes formations confondues – de 49 nationalités différentes, dont la chinoise – parmi lesquels près de 50% de femmes. Gembloux Agro-Bio Tech poursuit aujourd’hui sur sa lancée, animée par le besoin – impératif – de s’ouvrir davantage à un monde en mutation rapide et profonde: promotion des stages à l’étranger, renforcement de la présence (professionnelle ou bénévole) auprès des pays du Sud, contributions à la lutte contre les crises globales (climatique, alimentaire, énergétique…), partages d’expériences avec des acteurs extra-universitaires (arts et gastronomie, notamment), etc.

Extraits de l'article écrit par Philippe Lamotte, journaliste, en collaboration avec Jacques Mignon, attaché scientifique à la bibliothèque de Gembloux Agro-Bio Tech.

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